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Unpublished interview with Michel Foucault (1977)



Introduction by Christian Laval


Il y a des rencontres à la fois réussies et ratées. Celle que quatre jeunes militants de la LCR (dont l’ami regretté, Marc Coutty), eurent avec Michel Foucault en juillet 1977 fut bien de ce genre. Réussie, elle le fut plus qu’ils ne l’ espéraient quand ils demandèrent à l’auteur de La volonté de savoir un entretien pour les pages culturelles du journal Rouge. Ratée, elle le fut également pour autant qu’elle resta sans fruit. Jamais, en effet, les lecteurs de Rouge ne purent lire le contenu de cette longue conversation sur le pouvoir, sur Marx, sur la sexualité, sur la stratégie politique, sur les partis, sur la révolution. J’avoue ne pas connaître toutes les raisons pour lesquelles cet entretien resta inédit.

L’important est ailleurs. Au moment où, vingt ans après sa mort, il nous est donné de commémorer la vie et l’œuvre de Michel Foucault, et ceci après une certaine amnésie (voire, parfois, une franche calomnie), le danger existe d’anesthésier sa pensée dans le formol de l’académisme, voire d’en faire une sorte de grand esthète indifférent à la politique, incapable de sortir d’un nietzschéisme relativiste. Ce serait oublier à la fois tous ses engagements politiques et éthiques, et tous les problèmes qu’il a voulu poser, en particulier sur le plan de la théorie politique.

Lors de la rencontre que j’évoque, Foucault tenait tout spécialement à s’expliquer sur son rapport à Marx tel qu’il le pensait à l’époque de La volonté de savoir. Il entreprit, avec le déliement de l’esprit, la joie de l’échange et l’humour vif qui le caractérisaient, de retourner la critique que nous lui adressions sur sa conception de l’Etat et la notion de la lutte politique qui en découlait nécessairement. A nous qui pensions que la tâche politique la plus importante et la plus urgente était la construction d’un parti révolutionnaire capable de centraliser les forces sociales des classes dominées et de  poser la question du pouvoir à son plus haut niveau, Foucault répondait qu’un parti révolutionnaire, s’il visait à l’intégration des résistances multiples dans la société, ce qui était d’après lui une opération nécessaire, portait trop souvent en lui la méconnaissance de cette nécessité  : cette intégration des résistances n’est jamais, disait-il, qu’une opération symétrique à ce que réalise l’appareil d’Etat. Or, par une illusion politique trop fréquente, les marxistes ont tendance à penser l’Etat comme une origine, comme une source de rapports de pouvoir qui « descendraient » d’un sommet vers la société. La première règle que Foucault voulait poser était justement de ne pas comprendre « les rapports de forces à partir de l’Etat comme le foyer primitif mais de comprendre l’Etat comme la cristallisation institutionnelle d’une multiplicité de rapports de force qui passent fondamentalement par l’économie, mais qui passent aussi par toute une série d’autres institutions comme la famille, les rapports sexuels. » Et, à bien l’entendre, si les révolutionnaires continuaient à penser l’Etat de cette manière, ils avaient toutes les chances aussi de continuer à penser le parti comme la source exclusive du contre-pouvoir …avec des conséquences qui n’ont pas toutes été heureuses dans l’histoire. L’erreur était de confondre les pouvoirs dans la multiplicité de leurs formes et leur étatisation, comme de confondre la multiplicité des résistances et leur centralisation relative et précaire dans et par le parti.

Mais Foucault ne s’arrêtait pas au constat d’une telle divergence. Il tenait que sa propre théorie du pouvoir était en réalité beaucoup plus marxiste que celle qu’avançaient tous ceux qui pensaient pouvoir légitimement se prévaloir de la pensée de Marx. Certes, elle était marxiste mais en un sens précis. Michel Foucault n’a jamais caché que, pour lui, il fallait se débarrasser du « marxisme » en tant qu’il était devenu un système théorique de légitimation de pouvoirs oppresseurs. Mais cela ne l’empêchait pas de penser qu’il y avait chez Marx une théorie du pouvoir comme relation particulièrement précieuse et efficace, que les  marxistes n’avaient généralement pas comprise.

Selon Michel Foucault, la grande nouveauté de Marx tenait à ce que la question du pouvoir n’y est jamais séparée de celle de la lutte : « le pouvoir, c’est la lutte des classes, c’est-à-dire l’ensemble des rapports de force fortement inégalitaires et changeants dans un corps et qui constituent les drames quotidiens de la lutte des classes ». Les marxistes émoussent en somme le tranchant de cette rupture conceptuelle quand ils banalisent sa conception du pouvoir en en faisant une propriété, une possession, une « prise », c’est-à-dire en le concevant comme une substance. Les formulations marxistes les plus classiques, de ce point de vue, lui semblaient particulièrement symptomatiques d'un affadissement. Dire que la bourgeoisie « possède » le pouvoir parce qu’elle s’est emparée de l’appareil d’Etat lui paraissait une formulation inopérante lorsqu'il s'agit d'analyser la multiplicité des rapports de domination dans une société.

Une fois posé que le pouvoir est  relation antagonique, il n’y a aucune raison pour se contenter des formes étatisées de cette relation, ni pour s’occuper seulement des rapports économiques de pouvoir, même s’ils sont tout à fait décisifs dans nos sociétés. Foucault, en résonance avec les luttes des années 1970, voulait montrer que ce qui se passait entre générations, entre les hommes et les femmes, dans les organisations politiques ou syndicales,  sont aussi des rapports de force et des luttes plus ou moins sourdes et permanentes : « la lutte de classes, concrètement, c’est tout ce que nous vivons ».

Foucault pensait que les années 1970 avaient surtout démontré combien les partis de gauche avaient fonctionné jusque-là comme des dispositifs d’exclusion d’un certain nombre de luttes ou de problèmes qui ne correspondaient pas aux objectifs politiques de « conquête du pouvoir » que ces partis se proposaient : problèmes des fous, de la médecine, des délinquants, de la sexualité, etc. Ces questions qui n’avaient pu être posées qu’en dehors de ces organisations et même contre elles avaient à partir de 68 transformé complètement les conditions, les objets, les luttes politiques. Et c’était cette situation nouvelle dont il fallait tirer les conclusions pratiques.

Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur les rapports ou les non-rapports qu’entretenaient  les divers courants d’extrême gauche avec les intellectuels de cette époque. La générosité de Foucault envers ces quatre émissaires du journal Rouge, l’envie si visible de discuter de ce qui pouvait l’éloigner ou le rapprocher des positions trotskistes, témoignent encore, à presque trente ans de distance, qu’il y eut là une chance laissée infertile.


Read the interview (.pdf)




We are infinitely grateful to Christian Laval, who let us publish the link to this interview, originally appeared on Question Marx, and who solicited us to use as an introduction his text Michel Foucault et "Rouge" (Rouge, n. 2084, 28/10/2004).


 
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