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Miguel de Beistegui

Réponses au forum "Michel Foucault et les résistances"


       Le concept de résistance joue un rôle primaire dans l’analytique du pouvoir développée par Michel Foucault pendant les années 70. Notamment, dans La Volonté de savoir, Foucault souligne la corrélation incontournable entre formes d’exercice du pouvoir et résistances :

Là où il y a pouvoir, il y a résistance et […] pourtant, ou plutôt par là même, celle-ci n’est jamais en position d’extériorité par rapport au pouvoir. Faut-il dire qu’on est nécessairement « dans Â» le pouvoir, qu’on ne lui « Ã©chappe Â» pas, qu’il n’y a pas, par rapport à lui, d’extérieur absolu, parce qu’on serait immanquablement soumis à la loi ? Ou que, l’histoire étant la ruse de la raison, le pouvoir, lui, serait la ruse de l’histoire – celui qui toujours gagne ? Ce serait méconnaître le caractère strictement relationnel des rapports de pouvoir. Ils ne peuvent exister qu’en fonction d’une multiplicité de points de résistance : ceux-ci jouent, dans les relations de pouvoir, le rôle d’adversaire, de cible, d’appui, de saillie pour une prise. Ces points de résistance sont présents partout dans le réseau de pouvoir. (La Volonté de savoir, pp. 125-126)

Cette idée du rapport entre pouvoir et résistance possédait sans doute une puissante originalité et constituait un élément ultérieur de rupture de la pensée foucaldienne par rapport aux conceptions précédentes du pouvoir.

       Pourriez-vous indiquer les traits qui, à votre avis, demeurent les plus innovateurs dans cette idée de résistance, et expliquer si (et éventuellement comment) elle peut revêtir, encore aujourd’hui, un intérêt particulier ?

M. de Beistegui: Il ne fait pas de doute, à mon sens, que Foucault nous permet de repenser la notion de pouvoir, je dirais dans sa dimension sociale et politique aussi bien qu’ontologique, et en un sens qui nous éloigne de l’analyse marxiste, puisqu’il faut distinguer les rapports de pouvoir des rapports de production (et donc d’exploitation), mais aussi de l’analyse structuraliste, puisqu’il faut distinguer les rapports de pouvoir des rapports signifiants ou symboliques. Il est important de le souligner d’emblée, surtout dès lors qu’il s’agit de savoir si et comment on peut lui résister.

Et vous avez raison de souligner, à votre tour, ce qui fait la singularité de cette pensée du pouvoir, qu’il faut bien distinguer d’une pensée de la domination, de l’exploitation, ou bien encore de la servitude. Cette singularité, comment la définir ? Et bien justement comme ceci qu’il n’y a pas d’hors-pouvoir, de lieu ou de point de vue qui lui serait absolument extérieur et hétérogène, et à partir duquel on pourrait l’analyser et lui résister. Cela signifie aussi que le pouvoir ne vient pas, comme d’en haut et de l’extérieur, s’abattre sur une subjectivité constituée indépendamment de ces rapports de pouvoir, et qui aurait ses propres ressources, ses propres capacités de résistance, d’invention ou de construction. C’est ce sujet transcendantal, en son pouvoir auto-constituant ou son noyau ontologique, que Foucault nous invite à dépasser. Autrement dit, il n’est pas juste de dire qu’on ne fait que subir le pouvoir, ou qu’on ne lui « Ã©chappe Â» pas. Le pouvoir n’est pas cette force extérieure et agissante qui vient se plaquer sur un sujet passif.  Le pouvoir, les relations de pouvoir, dès lors qu’elles sont en place, sont agies autant qu’elles sont subies. Cela signifie que le pouvoir se distribue, certainement pas également ou équitablement, mais pas non plus d’un côté, groupe ou classe à l’exclusion de tout autre, selon une polarité binaire. Cela signifie aussi qu’il n’y a pas LE pouvoir, instrument de domination, voire de simple gouvernement, et dont on pourrait s’emparer à certaines conditions. Le pouvoir au sens de Foucault, ça  n’est pas quelque chose que l’on prend ou que l’on rend, objet de contrôle, d’échange ou de partage, vis-à-vis duquel on resterait dans un rapport d’extériorité, plutôt que dans un rapport immanent. Ça n’est pas un objet pour un sujet, aussi varié cet objet soit-il. C’est un ensemble de rapports, qui produit des effets, y compris et au premier chef des effets-sujets; il est subjectivant ou générateur de modes de subjectivité.

Cela rend évidemment la question de la résistance, du sens de ce terme et de la réalité qu’il recouvre, plus compliqués. Si résistance il peut y avoir – et je crois que c’est effectivement possible, bien que, paradoxalement, du fait même du dispositif qui encadre notre vie à tous aujourd’hui, en occident tout du moins, et qui vise, comme le dit le premier ministre britannique (mais le New Labour tenait exactement le même discours), à donner toujours plus de liberté aux gens, ça devient toujours plus difficile – elle ne peut venir que de ces leviers, ces « prises Â» ou ces « points de résistance Â» que le pouvoir libère en même temps qu’il s’impose. La singularité du pouvoir selon Foucault (j’aurais tendance à dire sa singularité ontologique), c’est que, toujours associé ou adossé à un savoir et un ensemble de pratiques discursives, d’énoncés de vérité, etc., le pouvoir donne du pouvoir: il oriente, façonne, conduit, discipline, bref, assujettit et, dans le même temps, mais de façon beaucoup plus difficile à décerner, il nous fournit les instruments et les prises dont nous avons besoin afin de le retourner contre lui-même, d’exercer sur lui une certaine pression, d’exploiter ses failles.  C’est cette situation-là qui rend la question de la résistance à la fois infiniment plus frustrante – on ne peut résister qu’avec les moyens que nous ‘donne’ le pouvoir et ce même si ces moyens, afin de se manifester, exigent tout un travail analytique – et en même temps immédiatement concrète et réalisable. La résistance, elle peut avoir lieu – elle a lieu – partout et à tout instant, comme les relations de pouvoir auxquelles elle s’applique: dans les bureaux ou les usines, les hôpitaux et les prisons, les universités et les écoles, les maisons d’édition et les studios de cinéma, les corps et ses pratiques érotiques, hygiéniques, gymnastiques, etc. Sa logique, il me semble, n’est pas tant celle du renversement et de la prise (de pouvoir) que celle, toujours locale et ponctuelle, du refus de ce que l’on est ou est devenu, du coup de poing, du grain de sable, du bâton dans les roues - résistance du type guérilla plutôt que révolution. De ce point de vue, la logique et politique des partis ne saurait constituer un point d’ancrage de la résistance.

 > Lire la réponse de Sandro Mezzadra

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