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Andrea Zaccardi

Entre épistémologie et politique : Foucault à l'épreuve du concept de population


Compte-rendu de Luca Paltrinieri, L’expérience du concept. Michel Foucault entre épistémologie et histoire, Publications de la Sorbonne, Paris 2012 (298 p.)


   Utiliser : comprendre pour reprendre

Luca Paltrinieri, dans L’expérience du concept, semble avoir pris au sérieux l’injonction canguilhemienne de ne pas approcher un auteur avec paresse et déloyauté, c’est-à-dire de le prolonger au lieu de l’utiliser[1]. Et il semble aussi bien sensible à la duplicité du travail qui s’impose lorsqu’on utilise un auteur : « l’utiliser, c’est […] comprendre son esprit pour reprendre non pas sa tâche […] mais la nôtre »[2]. La question qui soutient et guide l’analyse de Paltrinieri est en fait, comme il l’explique efficacement dans l’Introduction, celle du refus de la disjonction entre commentateurs et usagers de Michel Foucault. Il s’agit d’une interrogation sur la possibilité de s’approprier la pensée de Foucault pour en faire usage, sans pour autant imiter la parole foucaldienne, mais en « mimant » son geste ou, en d’autres termes, en s’appropriant sa méthode tout en faisant attention au fait qu’une méthode est un objet délicat : « le fait de s’approprier des outils de la boîte ne devrait pas conduire à sous-évaluer la boîte et encore plus le travail de reconstruction et transformation continuelles de cette boîte » (p. 9). Ainsi, pour travailler dans les pistes ouvertes par Foucault, il faut avant tout s’approprier la forme de la boîte à outils, forme qui n’est pas celle d’un système ou d’une doctrine, mais celle d’une philosophie qui est confrontée « sans relâche à son dehors » (p. 10), forcement in fieri, et pour laquelle vaut particulièrement le conseil canguilhemien selon lequel il ne faut pas « faire durer jusqu’à soi […] une forme qui ne s’est achevée que par l’accident de la mort, […] moment auquel le fait d’être le dernier ne doit pas conférer la valeur de sacré »[3]. Pas de systématisation de l’œuvre de Foucault ; pas de recherche d’une unité cachée dont les différentes formulations représenteraient toutes des trahisons ou des faillites : mais plutôt une tentative d’assumer les hésitations et les changements qui caractérisent son travail comme la forme même de sa pensée et comme l’un des traits de la reformulation radicale qu’il a opérée de la philosophie.

L’usage qui est visé par les analyses de ce livre est celui d’une interrogation philosophique d’un objet ambigu, mi-scientifique, mi-politique : « le concept de “population” », qui excède les cadres du « partage disciplinaire entre l’histoire des concepts politiques […] et l’histoire épistémologique », en excluant aussi bien le recours à « la sociologie des sciences » (p. 6) pour en faire l’histoire. Ainsi, Paltrinieri affirme l’évidence du recours à « l’histoire foucaldienne de la “gouvernementalité” » pour rendre compte de l’urgence de ce concept. Mais, ici, il ne s’agit pas encore de cette urgence : nous avons plutôt à faire au premier moment du mouvement d’utilisation – celui de la compréhension. À partir de cette cible, l’auteur interroge les textes foucaldiens en essayant de faire émerger la forme de l’archéo-généalogie et le modèle historique mobilisé par Foucault. Il s’agit donc de se plonger dans l’œuvre de Foucault pour ramasser et reconstruire l’un des fils rouges qui la traversent, sans aucune prétention à déceler de la dispersion même de cette œuvre la véritable signification qu’elle aurait eue et que personne n’aurait compris.

Nous pouvons partager ce livre en deux parties : dans la première, il s’agit de mettre au point une grille d’analyse, celle de l’expérience et du concept, à partir de laquelle procéder à la recherche du modèle historique mobilisé par Foucault (Chapitres 1 et 2) ; dans la deuxième, il s’agit d’utiliser cette grille, d’une part, pour analyser le moment dit archéologique, pour en repérer la spécificité et pour en montrer les limites (Chapitre 3) ; et, d’autre part, pour montrer la spécificité de la généalogie, dans son rapport à l’actualité et à l’histoire (Chapitre 4) ainsi qu’au problème de la vérité et du pouvoir (Chapitre 5).

  

   Un jeu à trois : l’expérience, le concept et la pensée

Déceler un fil rouge, c’est interroger un texte à partir d’une problématique philosophique et non pas simplement historique. À partir de cette attitude stratégique, Paltrinieri mobilise une perspective qui ne suit pas l’ordre chronologique : il assume un point de vue doublement rétrospectif pour formuler la grille sur la base de laquelle la mise en intelligibilité de Foucault pourrait avoir lieu. Ainsi, deux textes en particulier forment les pierres de touche sur lesquelles l’analyse pourra se dresser. Il y a, d’une part, l’article que Foucault dédie à l’ouvrage de Georges Canguilhem, La vie : l’expérience et la science, écrit en 1984, et d’autre part la première préface à L’usage des plaisirs, écrite en août 1983. Le premier texte est mobilisé dans le Chapitre 1, qui est consacré à une analyse de la philosophie de Canguilhem, pour montrer une continuité entre Canguilhem et Foucault à partir d’une problématique commune, celle d’une philosophie qui pense les rapports entre expérience et concept scientifique non pas comme conflictuels, mais comme rapports entre deux domaines à la fois homogènes et traversés par une confrontation permanente. Cette problématique est décelée par Paltrinieri dans le Chapitre 2, sur le fond du débat atour de la question sur le statut des sciences humaines, qui opposait phénoménologie et structuralisme.

Dans l’article de 1983, lorsqu’il parle de la corrélation entre les trois grands axes de recherche qu’il a parcourus – archéologique, généalogique, éthique –, Foucault mobilise la notion d’expérience (p. 100) : il s’agit en réalité d’une réintroduction, car cette notion, qui était centrale dans les ouvrages de jeunesse et dans Histoire de la folie à l’âge classique, avait disparu dans la période dite généalogique des années 70. Cette réintroduction s’accompagne d’une réflexion sur l’insatisfaction qui avait poussé Foucault à abandonner les positions des premiers écrits, qui étaient encore proches de la Daseinsanalyse, au profit d’une historicisation de la notion d’expérience. Paltrinieri insiste sur cette historicisation, qui lui permet, d’une part, de jeter un pont entre le début foucaldien et sa façon de présenter son œuvre dans les années 80 ; d’autre part, cette historicisation radicale l’intéresse car elle montre également l’insatisfaction de Foucault concernant la façon dont la phénoménologie concevait « l’expérience comme une instance en perpétuel conflit avec un concept qui risque toujours de l’enserrer dans des mailles objectivantes » (p. 107). En effet, selon la lecture que Foucault fait de l’entreprise phénoménologique, et en particulier de l’œuvre de Merleau-Ponty, « l’activité conceptuelle de production de l’objet était toujours seconde par rapport à la formation d’un sujet de l’expérience » et, par conséquent, le sujet semblait « être la forme indépassable de la réduction de l’expérience au vécu par le retour à l’originaire » (p. 107).

Or, dans ce contexte, la philosophie de la vie de Canguilhem pouvait représenter, d’après Paltrinieri, une façon de penser le rapport entre expérience et concept autrement que comme un conflit entre un savoir objectivant et une expérience totalisante. Ainsi, Paltrinieri fait référence à la lecture de Canguilhem que Foucault met en place dans son article La vie : l’expérience et la science, où il décrit l’épistémologie historique de Canguilhem comme « une alternative à la phénoménologie » (p. 64). Canguilhem, au lieu d’opposer vécu et vérité scientifique, affirme au contraire que, pour le vivant, « l’expérience vécue est toujours déjà habitée et structurée par une connaissance de son milieu qui constitue un motif originaire de la vie même et dont la connaissance scientifique constitue un prolongement » (p. 85). Canguilhem et Foucault partagent l’idée qu’il y a une « continuité conflictuelle entre vie et connaissance dans l’expérience » ; en d’autres termes, c’est « l’immanence de l’expérience et du concept » et, par conséquent, « l’expérience de la pensée comme le milieu commun où se forment un objet et un sujet » (p. 109), que Paltrinieri voit comme élément commun entre les deux auteurs.

Foucault aurait donc repris l’idée de Canguilhem que le mouvement des concepts « fait partie de l’expérience du vivant » pour « problématiser non seulement l’histoire d’un concept mais aussi l’historicité de l’expérience » (p. 114). Ainsi, à partir de cette présentation rétrospective que Foucault propose de son propre travail, Paltrinieri définit le modèle d’histoire conçu par Foucault comme « une histoire de la pensée », où par « pensée » il ne faut pas entendre une forme spécifique de rationalité « théorique », mais une pensée qui, en traversant complètement l’expérience, se donne comme « forme de l’action ». Une pensée qui est « une expérience bien précise de détachement et de problématisation par rapport à ce qui semble aller de soi, à ce qui se donne comme “horizon objectif” de l’expérience » (p. 102). Paltrinieri met au centre du modèle d’histoire archéo-généalogique la question de l’historicité de l’expérience : l’idée que l’entreprise de Foucault, comme il l’explique dans la première préface à L’usage des plaisirs, consiste dans la tentative de mise en lumière d’un « domaine où la formation, le développement et la transformation des formes d’expérience peuvent avoir leur lieu » (p. 102). Il n’y a ni conflit ni hiérarchie entre expérience et concept : il faut concevoir « la pensée elle-même comme une expérience possible, et l’expérience aussi comme une manière de penser » (p. 271).

  

   De l’archéologie à la généalogie : le présent et l’actualité

Une fois élaborée cette grille de lecture, Paltrinieri procède à une analyse de l’archéo-généalogie foucaldienne. Cette analyse est rythmée selon trois moments. Dans le Chapitre 3, Paltrinieri prend en examen la période dite archéologique à la lumière du rapport critique qu’elle entretient avec la phénoménologie, à travers la reformulation du concept d’a priori historique. Ensuite, il s’adresse à la forme historique mobilisée par la généalogie, selon deux temps : d’une part, il soulève la question de l’actualité et de la pensée critique (Chapitre 4), dont la spécificité généalogique est soulignée pour distinguer celle-ci de la démarche historienne et de l’archéologie quant à ses finalités ; d’autre part, il aborde la question du rapport entre savoir et pouvoir (Chapitre 5), où la spécificité de la conception foucaldienne est saisie avec un grand esprit de finesse pour montrer, plus concrètement que dans les autres chapitres, son usage possible.

La question du rapport entre généalogie et actualité possède donc un statut central dans l’analyse de Paltrinieri. Elle est d’abord mobilisée pour la distinguer de l’archéologie. Paltrinieri retrouve, en un certain sens, les positions de ceux qui pensent que le projet archéologique était hanté par la présence d’un certain nombre d’apories, apories qui auraient mené Foucault à changer de méthode au début des années 70. Mais la grille expérience-concept lui permet d’éviter d’interpréter ce changement comme un échec méthodologique, en rendant au contraire intelligibles les hésitations et l’autocritique de Foucault à partir d’une continuité de problématique.

L’archéologie, selon Paltrinieri, risquait d’être incapable d’« articuler les “expériences de pensée” avec le savoir conceptuel ». Ce risque relevait du fait que le système contraignant de l’a priori historique se trouvait face à l’impasse « d’une pensée qui précède toute expérience possible et qui, par conséquent, rend incohérent toute tentative de mettre au jour les “expériences de pensée” impliquées dans l’action et dans les pratiques » (p. 155). L’archéologie risquait donc de ne pas avoir une fonction critique réflexive : elle ne pouvait pas montrer l’a priori historique de notre époque ; elle ne pouvait pas « se caractériser elle-même comme une “expérience de pensée” […] capable de mettre en lumière les cadres qui structurent notre expérience » (p. 156).

La différence entre généalogie et archéologie ne résulte « pas tant d’un changement dans l’ordre de la finalité que de la méthode » (p. 161) : la généalogie doit rendre possible la prise de distance par rapport au présent, « mettre en lumière […] la pensée qui permet de prendre du recul et de la distance réflexive par rapport à ce qu’on est et à ce qu’on fait » (p. 163), en d’autres termes, qui permet de transformer le présent en actualité, de nous « montrer la différence que nous insérons dans ce présent lorsque nous faisons la répétition des événements du passé un actuel » (p. 20). Ainsi, avec la généalogie, la polarité de l’expérience et du concept trouve une autre solution : il ne s’agit pas seulement de concevoir l’expérience comme traversée d’ores et déjà par le concept, mais de penser la philosophie comme une « expérience de l’actualité qui est immédiatement expérience de pensée dans le présent et sur le présent » (p. 167).

L’idée que la spécificité de la généalogie est l’attention portée vers la question de l’actualité permet aussi de rendre compte de la différence entre une philosophie qui se veut philosophie du présent, et qui utilise l’histoire comme instrument privilégié, et la démarche historienne. Ainsi, la grille expérience-concept permet également de montrer l’écart entre généalogie et histoire : la généalogie reste une pratique philosophique liée à un ethos critique ; elle demeure liée à « une nécessité entièrement philosophique », c’est-à-dire à la nécessité de « donner un contenu réel à la réflexion sur nous-mêmes, sur notre société, sur notre pensée, notre savoir, nos comportements » (p. 180).

Suivant toujours l’idée que la généalogie, au contraire de l’histoire, ne porte pas sur « ce que les hommes ont fait, mais [sur] ce qu’ils ont pensé en faisant quelque chose » (p. 196), Paltrinieri reconstruit d’une façon fort convaincante les sources historiographiques dont Foucault fait usage pour formuler certaines de ses thèses, notamment l’hypothèse du biopouvoir qui se trouve dans le dernier chapitre de La volonté de savoir. Paltrinieri repère dans le texte foucaldien certaines reprises textuelles de passages de Philippe Ariès (p. 196), en montrant ainsi que la thèse sur le biopouvoir était présente bien avant Foucault. Mais cette politique de la non-citation, de la reprise silencieuse des analyses historiques opérée par Foucault, ne doit pas faire crier au plagiat : il faut se souvenir que la valeur de certains textes de Foucault n’est pas dans les thèses historiques qu’ils mobilisent, mais plutôt dans leur fonction de « contre-stratégie politique », dans leur statut critique (e.g. pour le cas de La volonté de savoir) contre un conception du sexe comme un fait naturel et brut.

  

   Politiques de la vérité : usages de Foucault

Cette mise en intelligibilité de la généalogie comme une pratique philosophique vouée à l’« ontologie historique de nous-mêmes » se conclut, dans le Chapitre 4, avec une analyse de l’idée de l’histoire fiction. Paltrinieri distingue, à l’intérieur du modèle historique généalogique, deux usages différents de la fiction : l’usage épistémologique, comme « supposition fictive de l’inexistence des universaux », qui a pour but de montrer « comment le réel se construit en le “fictionnant” », et l’usage politique, qui « implique une transformation de l’expérience de l’écrivain comme du lecteur » (p. 210). Ainsi, avec cette analyse de la fonction philosophique de la fiction et des effets de vérité produits par elle, la lecture de Paltrinieri bute sur l’un des problèmes centraux de Foucault : celui de savoir comment « comprendre la production de la vérité ou les régimes de véridiction ». L’analyse de la généalogie touche donc le problème de l’histoire de la vérité, auquel le Chapitre 5 est dédié.

Vis-à-vis de la question de l’histoire de la vérité et des rapports entre pouvoir et savoir, la grille expérience-concept montre toute sa pertinence : dans l’analyse du principe de la « connexion des hétérogènes » (p. 221), la perméabilité réciproque et l’historicité de l’expérience et du concept sont interprétées à l’intérieur d’une dimension communautaire/pratique, qui empêche toute interprétation externe des rapports entre savoir et pouvoirs : « De fait […] il n’y a d’essence ni de la connaissance ni de ses conditions universelles, puisque celle-ci est toujours le résultat historique de conditions qui ne sont pas d’ordre cognitif […] mais qui appartiennent à un contexte d’action déterminé historiquement et “communautaire” » (p. 224). L’analyse du dispositif en tant qu’instrument méthodologique complète ces remarques sur l’immanence du savoir et du pouvoir, en insistant sur la notion d’« urgence », qui souligne cette dimension tactique, communautaire et pratique des événements historiques. D’autre part, au sein de ces analyses, sont intercalés deux exemples détaillés d’un usage possible de la boîte à outils foucaldienne : l’histoire de la statistique et celle du concept de population. Par cette dernière, la grille expérience-concept peut se généraliser au-delà d’une simple lecture de Foucault : la forme de l’archéo-généalogie, en se concevant comme « une politique de la vérité », fournit une modèle historique pour penser aussi bien l’histoire d’un concept scientifique que les conditions politiques de son émergence ; bref, pour rendre compte du caractère ambigu, mi-politique, mi-scientifique, du concept de population.

En ce sens, l’Appendice à la fin du livre, dédié à une confrontation avec la tradition anglo-saxonne de l’Historical Epistemology et de l’Historical Ontology, s’insère bien dans le rythme de la lecture et représente un passage, pour ainsi dire, naturel de l’argumentation qui, avec le problème du rapport entre pouvoir et savoir, était déjà entrée dans le concret de la question de l’usage.

 

   Conclusion

« Nous avons sans doute “trahi” [la] pensée [de Foucault] car nous nous sommes finalement retrouvés au plus près d’une préoccupation qui est devenue la nôtre » (p. 224). Que faut-il donc conclure à l’égard de cette « trahison » ? Sans doute certains passages du livre sont discutables, et l’usage fréquent d’un point de vue rétrospectif ne s’accorde pas avec le souci de rigueur « philologique » à l’égard de l’œuvre de Foucault. Pour se limiter seulement à l’analyse de Canguilhem, il est assez évident que le point de vue adopté par Paltrinieri est celui de la lecture que Foucault en fait, point de vue qui, face à la présence chez Canguilhem d’éléments à la fois communs et critiques vers la phénoménologie, met forcement l’accent sur les points de rupture et ne rend pas compte de la complexité des rapports que le philosophe de la vie entretient avec la phénoménologie. Mais à bien y regarder, cette lecture partielle et perspective est plus loyale de ce qu’on en pourrait croire à première vue. D’abord, à partir de la volonté de déceler l’un des fils rouges qui caractérisent la philosophie de Foucault, elle arrive à montrer avec une analyse attentive des textes la possibilité d’un usage concret : celui d’une histoire de la pensée, comme une histoire de la production des concepts et des expériences de pensée. Mais, plus profondément, elle arrive aussi à assumer le caractère d’« expérience de pensée » du style foucaldien, ce qui la mène à penser la production foucaldienne comme une philosophie « qui impliquait également un déplacement continu et une sorte d’inachèvement de la tâche philosophique elle-même » (p. 271).

En ce sens, la lecture perspective et stratégique que Paltrinieri propose de Foucault n’est pas seulement une façon d’en faire un usage concret, mais elle est aussi une manière de comprendre la reformulation que Foucault a opérée de la pratique philosophique, « en la confrontant sans relâche à son dehors », en faisant de l’idée que l’achèvement d’une philosophie par l’« accident de la mort » ne doit pas réifier dans une forme figée ce qui relevait de la durée de l’interrogation philosophique et incessante de notre actualité, un véritable principe d’interrogation des textes. Ainsi, nous pouvons dire, en paraphrasant Canguilhem, que pour n’être pas paresseux ou déloyal avec un auteur il faut bien orienter nos lectures selon la rose des vents de notre tâche, tout en essayant à comprendre son esprit. Paltrinieri nous donne un excellent exemple de cette attitude, ce qui n’implique pas, à bien y regarder, aucune trahison.



[1] G. Canguilhem, Chronique marxiste – actualité du marxisme, dans Œuvres complètes, tome I, Vrin, Paris 2012, p. 480.

[2] Ibid.

[3] Ibid., p. 481.

 
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