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Diego Vernazza

Note critique du livre Michel Foucault, la politica presa a rovescio


Recensione di Stefania Ferrando, Michel Foucault, la politica presa a rovescio, Franco Angeli, Milano 2012 (270 p.)


Le livre de Stefania Ferrando cherche à déchiffrer ce qui pourrait être une politique foucaldienne. Tâche qui est menée, pour des raisons qui se justifient graduellement dans le texte, à partir de la position du problème de la pratique antique de la vérité telle que Michel Foucault l’analyse dans ses derniers cours au Collège de France. On ne saurait dire pour autant qu’il s’agit simplement d’un nouveau commentaire de Foucault : c’est un livre qui a le mérite de poser un certain nombre de problèmes philosophiques et politiques, sans jamais se détacher de son objet principal, le « dernier » Foucault.

Il faudrait dire d’abord quelques mots sur l’architecture du texte. A contrario de ces livres qui commencent par dévoiler au lecteur, dès l’introduction, ce qu’ils auront à apprendre au cours des centaines de pages qui suivent, le livre de Stefania Ferrando défend, avec son exemple, une tout autre forme. Il nous annonce très subtilement quels chemins nous allons prendre sans pour autant nous dévoiler, à aucun moment, quelle sera la fin du parcours. À chaque pas, à chaque fin de chapitre, le livre fait croire au lecteur qu’il est près de l’objectif, qu’il arrive à la fin, pour lui montrer ensuite qu’il est nécessaire d’aller plus loin. Comme l’« esthétique de l’existence » dont il est question dans la deuxième partie, le texte avance en mettant en cause les certitudes partielles que lui-même a fait construire. Le livre incarne, dans sa forme même, l’idéal éthique qu’il prétend fonder : un « mode de vie » qui consiste essentiellement dans une « pratique continue de problématisation » (p. 137).

Le texte commence en empruntant le chemin le plus court pour répondre à la question générale qu’il veut poser, celle d’une véritable critique philosophique capable d’avoir une emprise réelle sur les choses politiques. L’auteure commence en analysant les textes de Foucault sur Kant et les Lumières de même que les textes plus explicitement politiques de Foucault, notamment ceux qui tournent autour de la révolution iranienne de 79. On trouve dans ces passages des termes qui sont plutôt rares dans l’univers conceptuel de Foucault : « communauté d’action », « nous », « sujet collectif », « volonté d’un peuple ». Il faut se rappeler ici ce que Foucault disait à l’époque : « je pensais que la volonté collective, c’était comme Dieu, comme l’âme, ça ne se rencontrait jamais. Je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi, nous avons rencontré, à Téhéran et dans tout l’Iran, la volonté collective d’un peuple. Et bien ça, ça se salue, ça n’arrive pas tous les jours »[1]. Foucault, surpris, paraît y découvrir quelque chose de nouveau. Quelle est la nouveauté ? Foucault verrait là, explique Stefania Ferrando, une volonté collective visant non seulement à être « gouverné autrement », mais aussi à « vivre autrement », à changer le mode de vie. Il n’y serait pas question seulement de la politique, mais aussi de l’éthique, de l’éthique à une échelle collective. Foucault donne à cette volonté de changer, collectivement, le rapport qu’on a « aux autres, aux choses, à l’éternité, à Dieu », le nom de « spiritualité politique » ; terme qui désignerait l’essor d’un mouvement collectif visant à changer la vie, à changer même le « régime de vérité », puisqu’il est question aussi d’un autre rapport à la vérité (p. 46-47).

Or, le livre de Stefania Ferrando montre, d’une manière très subtile, que ce raccourci vers la politique foucaldienne n’est peut-être pas le meilleur. Le lecteur est confronté dans ce chapitre à l’évidence qu’il y a des irruptions politiques qui s’avèrent incapables d’interrompre le cycle répétitif de la domination. C’est à ce moment-là que l’invitation de l’auteure, celle de revisiter les Grecs à travers Foucault, se justifie pleinement : « Le défi est alors le suivant : pouvoir garder ensemble d’une part la référence à un  “nous”, un nous qui ne soit pas conçu comme saturé et compacte, mais bien au contraire comme exposé à des différenciations et des événements, et d’autre part le travail – ou la tâche – de chaque singularité qui assume son enracinement dans ce nous et dans le devenir de ce nous » (p. 68). C’est à partir de ce moment-là, une fois la question politique posée, que le livre se lance dans l’analyse de la parrêsia philosophique antique dans ses différents rapports à la politique. On peut penser que la structure générale du livre cache une certaine dialectique : la première partie pose la question politique du « nous », du nous des Lumières au nous contemporain ; et ensuite, du chapitre 2 jusqu’à la fin, il est question de demander de quelle façon la philosophie peut aider la cité à éviter que ce « nous » se fixe dans de nouvelles formes de domination. Il y a dans ce chemin, riche et agréable à parcourir, des moments particulièrement intéressants qu’on ne saurait manquer de souligner. Je n’en mentionnerais ici que deux, qui m’ont particulièrement frappé.

À un moment dans la lecture du texte on est surpris, par une question qu’on n’attendait pas du tout, une question qui au moment de son surgissement apparaît comme évidente, mais qui jusque-là était restée voilée. Cette question est celle du rapport entre la parrêsia et la différence sexuelle. Stefania Ferrando montre les liens étroits qui existent entre l’idée antique du parrèsiaste, celui qui « dit vrai », celui qui a le franc-parler, et celle de la « virilité » : c’est de cette position soi-disant « active » dans les « plaisirs » que l’homme, l’homme au masculin, ferait preuve de la tempérance nécessaire pour assumer sa condition de parrèsiaste. Le principe du « gouvernement de soi, lit-on, se révèle lié à une certaine capacité à se rapporter aux plaisirs et à assumer une position active dans les relations » (p. 156). Le « gouvernement de soi », un certain gouvernement de soi, celui qui requiert essentiellement du « courage », est ainsi assimilé à ce que Foucault appelle une « structure de virilité », structure que Stefania Ferrando se chargera de déconstruire à la toute fin du livre à partir de l’exemple très intéressant d’une parrèsiaste, au féminin.

L’autre élément que je voudrais souligner concerne l’une des formes parrèsiastiques décrites dans le livre, notamment dans les chapitres sur Platon : « chaque régime, chaque politeia, résume l’auteure à partir de la Lettre V, doit fonctionner selon ce qui la caractérise et la distingue. Chaque politeia doit parler […] aux hommes et aux dieux avec sa propre voix, et seulement de cette manière elle vit et prospère ». Il n’est pas question ici du « meilleur régime » pour tous les hommes, mais du régime qui exprime le mieux la « voix de la cité ». Le problème philosophique et politique serait dans ce cas de mesurer le degré d’adéquation entre les « convictions » des hommes d’une cité et leurs lois et mœurs. Il y a là, me semble-t-il, une façon de poser la question de l’intervention philosophique, la question pour ainsi dire d’une politique de la vérité, que je ne peux pas m’empêcher de rapprocher de la procédure d’une certaine philosophie politique et sociale dont le père fondateur est sans doute Montesquieu. Chaque peuple, écrit-il dans le livre 3 de l’Esprit des lois, a un « principe », une passion principale qui fait mouvoir ses institutions : l’« amour de l’égalité », l’« honneur », et la « crainte ». Mais tout peuple a aussi un certain « objet » qu’il poursuit de manière plus ou moins explicite : l’ « empire » dans le cas des Romains, le « commerce » dans le cas des Hollandais, la « liberté politique » dans le cas des Anglais (Esprit des lois, XI, 5). La question fondamentale pour Montesquieu est de savoir jusqu’où il y a « convenance » entre le « principe » et l’ « objet direct » d’un peuple déterminé, et c’est en fin de compte en posant ce type de question que la philosophie politique trouve sa légitimité pour intervenir dans la cité. Cette procédure s’apparente de façon significative à la description que fait Stefania Ferrando d’un certain parrèsiaste de type platonicien. On lit à la page 197 de son livre : « le philosophe est appelé à faire à l’échelle de la cité, ce que Socrate faisait pour chaque citoyen : poser infatigablement le problème de l’harmonie entre ce que l’on dit et la manière dont on vit, en s’assurant que la polis ne s’écarte pas de cette convergence pour commencer à imiter un modèle de politeia qui ne lui correspond pas et à utiliser une voix – dans les lois, dans les décisions, dans les discours – qui ne lui permet pas de parler de ce qu’elle est et de son mode de vie ». Pour autant, il n’est pas question d’un philosophe qui ferait le diagnostic et offrirait un certain remède à la cité. C’est plutôt la cité elle-même qui doit manifester, d’une manière ou d’une autre, son malaise face à ce décalage entre ce qu’elle dit d’elle-même et ce qu’elle est : « le philosophe de Platon joue un rôle critique », c’est-à-dire qu’il « intervient dans les moments critiques, de crise, de maladie » (p. 209-210). Le philosophe est là seulement, mais essentiellement, pour souligner l’origine de cette maladie, à savoir l’écart entre les mots et les actes dans la cité, et pour se placer « à l’intérieur de ce mouvement » et tenter de « soutenir », d’ « articuler », la « différence de la voix de la cité par rapport aux contrefaçons et mécompréhensions » (p. 198).

La question reste de savoir quel type de parrêsia, parmi celles décrites dans le livre, serait la plus adéquate dans un contexte démocratique. Le livre de Stefania Ferrando montre qu’il y a au moins trois formes de parrêsia philosophique. Il y a d’abord celle de Socrate, tourné vers le problème du « mode de vie », de l’ethos, où l’on trouve une parrêsia à caractère existentiel qui se développe dans un contexte démocratique sans viser pour autant à y intervenir directement. Il y a ensuite une parrêsia platonicienne, visant directement le champ politique, tentant d’y intervenir moyennant la force d’un discours vrai, un discours capable de modifier aussi bien la conduite des gouvernants que des gouvernés. Il y a finalement la parrêsia cynique, dans laquelle le corps du philosophe est en quelque sorte un témoin de la vérité, visant à transformer les pratiques plutôt que les discours, les corps plutôt que les idées. Le livre, par sa nature dialectique, ne nous laisse pas trancher facilement entre l’une et l’autre forme parrèsiastiques. Si l’on devait donc tirer une conclusion, et je prends entièrement cette conclusion à ma charge, on devrait dire que la parrêsia socratique, la parrêsia platonicienne et la parrêsia cynique sont, et peut-être seront-elles toujours, des moments nécessaires pour établir la différence propre qui constitue la philosophie elle-même. Il ne serait pas question de choisir définitivement une stratégie plutôt qu’une autre, mais de bien saisir celle qui convient aux temps et circonstances. Le problème de la parrêsia doit inclure celui du kairos. Dans un contexte comme le nôtre, marqué par ce que Peter Sloterdijk a appelé le « cynisme moderne » – « ce comportement signé par un réalisme désenchanté », par la « conscience que le monde est une farce dans laquelle il faut participer mais sans y croire » (p. 235-236) – une parrêsia de type cynique est certainement peu convenable. En ce sens, peut-être qu’un certain Foucault devrait-il être mis en suspens, au moins pour un certain temps. On lit à la fin du livre : « le mouvement critique et les pratiques de différenciation ne peuvent pas être seulement recul et déni » (p. 246). A ce moment-là, la question politique contemporaine devient plus claire : « Comment faire en sorte que l’écart par rapport à ce qui existe ne s’épuise pas dans le cynisme moderne ? » (p. 237) Voilà, me semble-t-il, l’un des problèmes que le livre de Stefania Ferrando contribue à penser, avec Foucault, mais aussi au-delà de lui.



[1] M. Foucault, « L’esprit d’un monde sans esprit », in M. Foucault, Dits et écrits, Gallimard, Paris 2001, tome II, p. 746.

 

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